Et si l’Africain soutenait rarement l’alternance politique ?



Par Yanick Nzanzu Maliro, écrivain et penseur libre congolais

Il y a des questions qui dérangent parce qu’elles touchent au cœur de nos contradictions collectives. Celle-ci en fait partie : et si, malgré les discours, l’Africain soutenait rarement l’alternance politique ?

Provocatrice, certes. Inconfortable, sans doute. Mais nécessaire, au moment où plusieurs pays du continent montrent que le changement de pouvoir reste une équation difficile, parfois explosive. En Tanzanie, la continuité quasi automatique du parti au pouvoir depuis l’indépendance illustre une culture politique où l’alternance n’est pas une priorité populaire. 

Les citoyens, souvent fatigués des turbulences régionales, préfèrent ce qu’ils connaissent à ce qu’ils ne maîtrisent pas. Au Cameroun, malgré plus de quatre décennies sous le même leadership, une partie de la population continue de redouter l’incertitude qu’une alternance pourrait provoquer, comme si le pays ne pouvait survivre sans un visage familier au sommet. En Côte d’Ivoire, toute tentative de changement semble réveiller des fractures identitaires profondes. Le résultat ? Un électorat divisé entre désir de renouveau et peur d’un retour aux heures sombres.

Penseur libre congolais et écrivain, Yanick Nzanzu Maliro. Capture d'illustration.

La situation en Afrique de l’Ouest ajoute une autre couche à cette question. Au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, les juntes arrivées par des coups de force, applaudies par des populations exaspérées, montrent désormais une tendance assumée à durer. Les militaires, censés piloter des transitions rapides, réinstallent parfois les réflexes de confiscation du pouvoir. Et paradoxalement, une partie des citoyens, séduits par la rhétorique de la souveraineté et de la sécurité, accepte qu’un "régime provisoire" devienne un horizon lointain.

L’alternance devient alors ce que l’on repousse toujours à demain. Ne nous trompons pas : l’Africain n’est pas réfractaire à la démocratie. Mais il évolue dans des États où les institutions, fragiles ou manipulées, n’ont pas encore prouvé leur capacité à encadrer des transitions paisibles. Là où l’État de droit chancelle, la personnalisation du pouvoir prospère, et avec elle la conviction que changer de dirigeant, c’est risquer l’effondrement de tout le système. Dans ces conditions, comment s’étonner que beaucoup préfèrent la stabilité, même artificielle, à une alternance qui pourrait tout faire basculer ?

Le vrai combat du XXIᵉ siècle africain n’est peut-être pas l’organisation d’élections régulières, mais la reconstruction d’une culture citoyenne qui croit en la force des institutions plus qu’en la figure providentielle d’un homme fort, civil ou militaire. Et la Guinée Bissau, que va-t-elle devenir ? À "J’écris, je crie", nous avons toujours cru qu’il faut nommer ces tensions pour mieux les dépasser. Questionner notre rapport au pouvoir, revisiter nos peurs politiques, sortir de cette relation quasi sacrée au chef. L’Afrique ne manque pas de leaders. Elle manque d’une confiance profonde dans les mécanismes qui garantissent qu’un leader peut partir sans que la nation s’écroule. L’alternance n’est pas un luxe démocratique.


Elle est un droit. Et surtout, elle est une école : celle qui apprend aux peuples à se tenir debout sans trembler chaque fois qu’un  visage change à la tête de l’État. C’est ce chemin-là que nos sociétés doivent encore emprunter avec courage, lucidité… et une bonne dose d’espérance.

Extrait de la Revue africaine mensuelle N°37, Décembre-2025 ; J'écris, je crie !

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